Peuplement préhistorique et antique d’Ennadhour

(Skhira, Golfe de Gabès)

 

Dr. Sofiène Ben Moussa

Directeur du département d’histoire.

Université de Sousse.

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RESUME :

Contrairement à l’époque antique, les  activités de pêche préhistoriques en Tunisie n’ont pas bénéficié jusqu’ici d’aucune étude scientifique en dépit de l’importance de l’occupation préhistorique. Dans les régions côtière et particulièrement dans les zones paraliques, où la survie des préhistoriques semble dépendre de l’exploitation des ressources aquatiques.  Nous allons tenter ici de présenter quelques réflexions sur le matériel susceptible, de servir à la pêche à partir des récoltes de surface dans la région d’ Ennadhour près de Skhira (Golfe de Gabès).

 

Introduction :

Les milieux paraliques apparaissent pendant les temps préhistoriques et antiques comme des zones de forte occupation humaine liée à des activités de grande importance économique.

Les mollusques lagunaires furent la base de l’industrie punique de la pourpre issue du murex. Les auteurs latins ont signalé la pérennité de cette activité avec les Romains en Afrique du Nord, à travers les ateliers de teintureries[1], particulièrement sur les rives sud du lac "El Bibèn" (Drin, 2002).

Les Carthaginois exploitaient aussi certains sites lagunaires pour la fabrication du sel. Marchandise de grande valeur commerciale dans l'antiquité, qui a aussi favorisé l’installation des salaisons et le commerce du "Garum". Cette exploitation est à l’origine de la richesse des cités de l’époque antique comme Utique[1] et Carthage[1].

Il faut noter enfin la place essentielle du domaine lagunaire, dans les activités de la pêche, pratiquée depuis les temps préhistoriques avec des techniques spécifiques à ce milieu. La région d’Ennadhour présente un exemple de ces milieux paraliques, où le paradoxe est patent entre la densité de l’occupation, de l’activité humaine, et les limites des ressources naturelles.

  1. Géomorphologie et géologie:

La région d’Ennadhour est située sur le littoral nord du Golfe de Gabès. Elle est à environ de 15 km au sud de la ville de "Skhira". La région est enclavée entre la méditerranée et les deux  Sebkhas d’ "El-Guettiate" au nord et de "Dreîaa" au Sud. Dans sa partie nord, la région présente une falaise large de 5 km, et en cours d’écroulement sous l’effet de la houle (Zaîbi et al., 2012), alors qu’elle est dominée, dans sa partie, centrale par des flèches sableuses de moins d’un kilomètre de large. Vers le sud les deux sebkhas se relayent et s’ouvrent sur la mer (carte 1). Les deux Sebkha communiquent avec la méditerranée grâce à des chenaux de marées, dont les plus importants sont "El Maleh", "El Raghla" et "Kharkhara" qui se ramifient et se poursuivent à l’intérieur de deux sebkhas. En devenant moins profonds et de plus en plus méandriformes (Gargouri, 2011).        

Le renouvellement des eaux dans les sebkhas est assuré en temps de marée[1], et lors des équinoxes par ces chenaux, ou par un vaste réseau hydrographique qui se diverse dans ces sebkhas.

  1. Climat et évolution de Sebkha:

1.1 Le climat:

Le paléoclimat dans le Golfe de Gabès, semble connaître, depuis la fin de Pléniglaciaire de würm, quatre grandes phases :

- Une phase hyperaride post atérienne qui débute vers 22 000 B.P[1] (Muzzolini, 1995). Et qui coïncide avec le développement des industries ibéromaurusiennes, sur le littoral nord-africain. Probablement suite à une forte migration, à partir des régions sahariennes (Vernet, 2004)[1].

- Vers 12 500 ans BP, la fin de l’aridité qui régna au Pléniglaciaire (Brun, 1992). Le retour de pluie permettra le développement, à partir de 10 000 B.P. des premières industries capsiennes[1].

- Vers 8500 ans BP, marque l’installation d’un optimum climatique, à la fois hydrique et thermique. Cette phase est marquée par le développement, et l’extension des industries du Capsien supérieur.

- Vers 5000 ans BP, une nouvelle phase d’aridification s’installa dans la région, elle permettra la néolithisation du Capsien.

1.2 Évolution de Sebkhas :

La "Sebkha de Guettaite" semble connaitre un environnement lagunaire ouvert estuarien.  installé vers 7460 cal. BP. Ce dernier est suivit des plusieurs phases de fermetures en rapport avec la formation des flèches sableuses. particulièrement vers 5408 cal. BP. Ces phases sont responsables des changements de paléo-environnements et de l’installation de lagunes de plus en plus fermées, et évoluant vers l’actuel milieu de type sebkha (Zaîbi et al. 2011)[1].

Quant à "Sebkha Dreïaa" elle a connu une première transgression marine (>6471–6874 ans cal.BP) qui a  permis l’installation d’une lagune ouverte.  Suite à  cette phase, la lagune ouverte est de plus en plus  soumise aux influences estuariennes.  Vers 3350–3752 cal. Ans BP, la lagune évolue vers la fermeture avec la formation des flèches sableuses. Vers 2839-3057 ans cal. BP, caractérisent une lagune ouverte, et probablement une transgression marine. Après cette transgression, la partie sud de la Sebkha Dreîaa, émerge et évolue vers le présent environnement (Zaîbi et al. 2012).

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  1. Peuplement préhistorique et activités halieutiques :

La répartition des sites préhistoriques d’Ennadhour montre deux concentrations linéaires des sites, dont l’une est littorale, et l’autre est perilagunaire (carte 1). La densité  des sites (25 sites dans moins de 4 km2), semble indiquer une saisonnalité entre la lagune et la côte.

  1. les industries lithiques, quelles finalités ?

L’étude de la série lithique de Faïth Ennadhour II (FEN II),  nous a montré une industrie lithique assimilable, au néolithique de tradition capsienne de la Tunisie, et de l’Algérie orientale (graphique n°2). Les groupes d’outils les plus représentés sont : les coches et denticulés (52%), les géométriques (18%), les grattoirs (6,4%) et les lamelles à dos (2,1%). Alors que l’indice, les éclats et lames à dos est de l’ordre de (1,4%). Et celui des burins (1,4%).

Aux pièces caractéristiques de l’épipaléolithique (Fig. 1). la série de Faïth Ennadhour II, avait livré quelques pièces à caractère néolithique (17) notamment 11 pointes de flèches et six pièces à retouche bifaciale (Fig. 2).

 

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Graphique n°2 : Comparaison entre la série lithique de FEN II, et le Néolithique de tradition capsienne de la Tunisie et de l’Algérie orientale

Les coches et denticulées sont communément présentées comme des outils du travail du bois, de l’os et autres matières dures organiques. Les géométriques et les lamelles à dos  sont souvent considérés comme des armatures pour faucilles (récoltes des graminées sauvages) ou sagaies (destinés à la chasse des gros gibiers). Quant aux armatures des flèches, elles sont les armes de prédilection pour la chasse des petits gibiers. Ce matériel lithique semble refléter à priori l’importance des activités domestique liée au travail des matières organiques (coches et denticulés et grattoirs), celle des récoltes des graminées sauvages (faucilles  à base des géométriques et des lamelles à dos), de la chasse aux gros gibiers (sagaie composites usant les géométrique et les lamelles à dos)  ou de petits gibiers (armatures de flèches).

Toutefois, les caractéristiques des milieux paraliques ne permettent pas cette approche classique des finalités de l’outillage.

En effet, le taux de salinité élevé, dans ces milieux empêche le développement des graminées sauvages. Voire, la chasse aux gros gibiers, nous semble peu plausible et ne peut représenter une ressource primordiale dans le régime alimentaire des préhistoriques d’Ennadhour. Quant à la chasse petits gibiers, elle semble aussi insuffisante à la survie de plusieurs groupes humains.

Comment expliquer alors cette densité de l’occupation humaine et que la seule exploitation des crustacés[1] ne peut expliquer à son tour. Un domaine est cependant non encore explorer, celui du potentiel des activités halieutique et que peut donner quelques éléments de réponse au mode de vie des populations préhistoriques d’Ennadhour.

  1. les activités halieutiques préhistoriques : quels matériels ?

Contrairement à l’époque antique, les  activités de pêche préhistoriques en Tunisie n’ont pas bénéficié jusqu’ici d’aucune étude scientifique. A priori, deux contraintes majeures semblent à l’origine de ce désintéressement.

-  Il ne reste rien des matériels ayant servi à la capture des poissons en raison de leur nature particulièrement périssable.

- La quasi-absence des restes de poissons dans les habitats préhistorique en Tunisie.

Cette absence d’une littérature halieutique, est en contraste avec l’importance de l’occupation préhistorique, dans les régions côtière. Particulièrement dans les zones des "sebkhas côtières" (Sebkhet halek el Menjel, Sebkhet el Guettaite et Dreîaa). Où la survie des préhistoriques semble dépendre de l’exploitation des ressources aquatiques.  Nous allons tenter ici de présenter quelques réflexions sur le matériel susceptible de servir à la pêche, à partir des récoltes de surface dans la région d’ Ennadhour près de Skhira.

III. Techniques de pêches préhistoriques : matériels, atouts et contraintes :

  1. la pêche à la ligne :

Elle nécessite la présence : d’une perche, une ligne, un poids ou plusieurs, un hameçon et un appât. Les roseaux disponibles dans la région peuvent fournir des perches, les fibres végétales, lanières de cuir. Tendons d’animaux peuvent fournir des lignes. Certains grès[1] à trou, les grosses pièces à coches, qui sont à étranglement récoltés sur les sites préhistoriques, peuvent fournir d’excellents poids (Fig. 3). 

Des géométriques comme les segments et les trapèzes peuvent fournir d’excellents hameçons (Fig. 3). Toutefois,  la résistance de la ligne, constitue une contrainte majeure dans un contexte où la salinité est importante. Les tendons d’animaux et les fibres végétales ont tendance à devenir visqueux au contact de l’eau. Ce qui empêche le maintien de l’hameçon. Parfois, ce contact avec l’eau cause la distension et la rupture de la ligne elle-même (Parent R. 1980).

  1. La pêche au filet (Nasse):

Cette pêche nécessite la présence d’un filet nasse, en sparte ou en bois, et provisoirement des poids (Fig. 3 et 6). Elle est adaptée pour les petits, comme les gros poissons. Ce genre de filet peut être facilement confectionné avec de sparte disponible dans la région "Alfa". De même, la région d’Ennadhour offre plusieurs zones où l’eau est peu profonde. Adaptée à la pêche à pied particulièrement dans les Slikkes et les Schorres. Véritables viviers des petits poissons et multiples crustacés. Néanmoins, à défaut d’embarcation "radeau", la pêche au filet ne peut se faire que dans des eaux peu profondes.

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Fig. 3 : Deux poids de pêche de Faïdh Ennadhour II

 

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Fig. 6 : filets nasse

 

  1. Le piégeage : (système de bordigue primitif)

La bordigue est un barrage construit en panneaux en pieux, branchages, roseaux et des filets. Installée à une profondeur faible dans la zone de communication entre une lagune et la mer. Ce mode de pêche est encore utilisé dans la Bhira d’El Biben en Tunisie.

La région d’Ennadhour présente plusieurs atouts pour ce mode de piégeage des poissons, notamment la présence de grau entre la mer et la sebkha.

Cette chasse adaptée aux gros poissons peut être facilité par :

- l’emploi des harpons composites (lamelles à dos et géométriques).

- la maîtrise de la technique de clayonnage au néolithique (Fig. 7).

- la présence des gros poissons migrants entre la mer et la lagune en particulier le muge[1].

Cette méthode complexe nécessite, toutefois, un travail en groupe et une organisation particulière de tâches.

 

Conclusion :

En dépit des limites des ressources naturelles  et d’un espace très restreint et enclavé, la région d’Ennadhour montre l’ampleur de l’occupation et de l’activité humaine, depuis la Préhistoire jusqu’à la période antique.

Ces activités sont favorisées par une exploitation ingénieuse du potentiel halieutique (poisson et crustacées) ainsi qu’une mise en valeur des ressources lagunaires disponibles (sel, argile et plantes halophiles… etc.)

 

قائمة المصادر والمراجع:

 

Brun, A., (1992). Pollens dans les séries marines du Golfe de Gabès et du plateau des Kerkennah (Tunisie). Signaux climatiques et anthropiques In: Quaternaire .Vol. 3.N. 1 .

César.  J.,  la guerre civile.  Livre II.  chap. 37.

Drin , A., (2000). Les fouilles de Meninx, résultat de compagne 1997-1998. Africa romana .

Drin,  A., (2007). La pourpre de Meninx . Africa .

Farrugio, H., (1975). Le muge (poissons, téléostéens) de Tunisie, répartition et pêche. Contribution à leur étude systématique et biologique.  Thèse du doctorat de l’Académie de Montpellier.

Hocquet, J-C., (1982). Le sel et la fortune de Venise, production et monopole.

Jaouadi, S. et al. Analyses polliniques en contexte anthropisé : le cas du site holocène SHM1 (Hergla, Tunisie centrale). Annali dell’Università di Ferrara Museologia Scientifica e Naturalistica, V. 6.

Morel J. P., (1985), La manifacture, moyen d’enrichissement dans l’Italie romaine. in Leveau (ph.) l’origine de richesse dans la ville antique, acte de colloque organisée à Aix-en-Provence.

Muzzolini. A., (1995) . Les images rupestres du Sahara. Toulouse.

Parent, R. (1980). Réflexions sur de présumés modes de pêche préhistoriques, Le Coq Galleux et le Hazoy à Compiègne (Oise), In: Cahiers archéologiques de Picardie. N°7.

Vernet, R., (2004). Le Sahara préhistorique entre Afrique du Nord et Sahel, état des connaissances et perspectives. Paris: édition Sépia.

Zaïbi Ch. et al. (2011) . Évolution du trait de côte à l’Holocène supérieur dans la Sebkha El-Guettiate de Skhira (Golfe de Gabès, Tunisie) à travers sa faune d’ostracodes et de foraminifères. In: Geobios .

Zaïbi, Ch. et al.  (2012) . Evolution of the sebkha Dreîaa (South-Eastern Tunisia, Gulf of Gabes) during the Late Holocene: Response of outraced assemblages. In: Revue de micropaléontologie. 55-83–97.